NOTRE DAME DE L'ASSOMPTION

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PAROISSE de BOUGIVAL


Eugène IONESCO : de la raison critique à la simplicité du cœur...

Publié par Paroisse Bougival sur 2 Décembre 2018, 18:10pm

Catégories : #Enseignement

Eugène IONESCO : de la raison critique à la simplicité du cœur...

Ayant reçu avec beaucoup d’émotion samedi dernier le témoignage de Mr Boncompain, Chevalier du St Sépulcre, je me permets de vous transmettre une partie de celui-ci avec son accord, tant il nous pousse à vivre d’Espérance en l’action de la grâce !

J'ai fait la connaissance d'Eugène Ionesco en 1970 quand j'eus la responsabilité du Service de l'Etranger de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques. Il était déjà l'un des auteurs les plus joués à l’étranger. Avec le temps, une vraie complicité se développa entre nous.

Eugène Ionesco était si pénétré d'interrogations essentielles, qu'entretiens et rencontres professionnels étaient coupés de digressions politiques et religieuses, auxquelles je me prêtais volontiers, quand je ne les suscitais pas.

C'est donc naturellement que j'ai interrogé Ionesco sur la place de Dieu dans sa vie. Enfant, il était très religieux. L'inquiétude l'envahit avec l'adolescence. Depuis, il doutait. Mais, lui disais-je, ne vous souvenez-vous pas d'avoir connu, même de façon fugace, une paix intérieure, une harmonie avec vous-même et la nature, telle que vous touchiez alors à l'éternité et que vous aviez la certitude de l'existence de Dieu ? Si, me dit-il, il avait un souvenir d'enfance de ce genre. C'était une lumière qui perdurait au milieu de tous les orages rencontrés depuis, faible, parfois oubliée, mais qui pointait de temps à autre, montrant par là qu'elle continuait à briller au fond de lui, alors même qu'elle échappait à son regard. L'ombre, c'était le mal répandu dans le monde, l'oppression morale et physique exercée par des hommes sur d'autres hommes, la dictature des idéologies. Cet état de fait le rendait malade, et la maladie l'y renvoyait.

En novembre 1992, je rentrais d'une retraite au foyer de charité de Châteauneuf. A l'issue d'un entretien téléphonique professionnel, Eugène m'invita à lui rendre visite. Je le trouvai au salon, dans son fauteuil, assailli de douleurs. Ses paroles étaient amères et révoltées. Il posa, comme autant d'accusations, une série de questions : Pourquoi la vieillesse ? Pourquoi ne puis-je plus aller et venir comme avant ? Pourquoi le mal ? Pourquoi la violence ? Et de faire référence aux conflits qui ensanglantaient le monde.

Je lui parlai de Marthe Robin. Je m'étais muni d'une image où l'on voit au recto Marthe jeune, dans son lit, avec un beau regard mouillé, et, au verso, ces paroles d'elle : "Ne nous créons pas nos souffrances, mais quand elles se présentent, comme Jésus, comme Marie, portons-les vaillamment. La souffrance prend la valeur que lui donne celui qui la porte. De grâce ne souffrons pas pour rien, c'est trop triste... J'ai connu la JOIE la plus pure, la plus douce qu'on puisse connaître : celle de vivre pour les autres et pour leur bonheur. C'est en pensant aux souffrances de Jésus-Christ, à son amour rayonnant sur la croix, que je suis parvenue à m'unir à Lui dans une communion intime et constante." 

E. Ionesco était troublé. Quelque chose hésitait en lui. Nous étions seuls. Je sentais sa souffrance et je me persuadai que Dieu était sa vraie médecine. Surmontant mon amour propre, le sentiment d'être vaguement ridicule - n'ayant pas toujours offert l'exemple d'une parfaite dévotion - je me mis à genoux et lui pris les mains : Eugène, si vous le voulez, nous allons prier ; nous allons dire un Notre-Père.

Et je commençai à réciter le Notre-Père, en demandant à Marthe Robin d'intercéder auprès de Notre-Seigneur afin qu'Eugène s'ouvre à sa grâce, accepte ses souffrances et les dépasse. Eugène pria avec moi. Les paroles semblaient lui revenir de très loin sur les lèvres, et, parfois, quelques-unes manquaient, qu'il reprenait après moi, sous l'effet de l'émotion. (Marie-France m'a rapporté qu'il lui a longtemps fait faire ses prières, le soir, et que lui-même priait, discrètement. Ainsi, comme elle lui faisait observer, une fois, qu'il n'avait pas prié, pour sa part, il lui répondit : "Mais si, j'ai fait mon signe de croix, comme ça." Et de lui montrer qu'il s'était signé avec la langue, bouche fermée, preuve qu'il garda une relation directe avec Dieu dans les moments où il pouvait en paraître le plus éloigné.) La femme de chambre nous surprit alors que nous achevions un "Je-vous-salue-Marie". Il était l'heure du dîner pour Eugène. Je l'embrassai et le quittai, troublé  de notre entretien dont je ne savais comment il l'avait perçu, inquiet qu'il ne lui ait fait plus de mal que de bien. Le lendemain, je fus rassuré par un appel téléphonique, où d'entrée, Eugène me dit : Jacques, vous m'avez fait du bien. Quand revenez-vous ?

Je repris ainsi régulièrement le chemin de son domicile pour des entretiens dont Dieu était le sujet par essence. Entre deux rencontres, il n'était pas rare qu'Eugène m'appelle, parfois à plusieurs reprises dans la journée, pour me parler de Dieu et de ses doutes. Son esprit anxieux s'emparait du moindre fait pour remettre en cause ses certitudes. Ainsi, me téléphona-t-il un jour : Jacques, j'ai perdu la foi. « Eugène, la foi n'est pas quelque chose qu'on trouve ou qu'on perd ». J'ai lu que, sur le Saint-Suaire, les clous apparaissent plantés au  creux des mains, quand il est prouvé qu'ils devraient l'être au-dessus des poignets. D'où tout un entretien sur le Saint-Suaire…

Un jour, Eugène me lâcha : J'ai manqué ma vie. A 20 ans, je me sentais appelé à la vie contemplative, avec les moines, et puis j'ai désiré la gloire littéraire, l'argent... les vanités du monde.

Cette confession me remua. J'avais au bout du fil l'homme de théâtre le plus célèbre au monde, statufié de son vivant, dont nombre de confrères se contenteraient d'une parcelle de célébrité, et cet homme se voyait réduit à néant, floué, riche d'un trésor démonétisé à ses propres yeux. Je lui marquai alors que nos misères nous conduisaient à Dieu plus sûrement que nos réussites.

A cet égard, je puis témoigner de l'action de l'Esprit-Saint. Eugène Ionesco était un parfait logicien et il était difficile, pour moi, disons de "faire le poids." Or, dans l'ensemble, les réponses qui me venaient,  portaient. Il lui arriva de me dire : Vous êtes un bon avocat de Dieu. Ce à quoi je lui répondis : « Dieu n'a pas besoin d'avocat. »

Eugène Ionesco se comportait comme un avocat du diable. Mais il souhaitait, au fond de lui, perdre son procès. Il avait une connaissance intérieure de la Vérité. Mais la souffrance, l'inquiétude, et toutes les tentations du monde, s'unissaient pour faire taire cette voix. Il plaidait le faux  pour entendre le vrai. Sa démarche, si humaine, qui était toujours d'aller à Dieu à reculons, consistait à dire : Il y a le Mal. S'il y a le Mal, il y a le Bien, il y a Dieu.

Lors de notre dernier entretien, il était allongé sur le canapé de la salle à manger. Parfaitement lucide, nous avons discuté. Il eut quelques observations, comme de pure forme et ne s'y attacha pas. Nous avons surtout prié. Son visage se détendit plus que les fois précédentes, au point d'avoir une expression d'une grande douceur et de béatitude. Quand je le quittai cette fois-là, j'ignorais que je ne le reverrais plus vivant. Du moins, ce dont j'étais sûr, c'est qu'il avait atteint un état de proximité avec Dieu que je ne lui avais jamais connu, irréversible, comme si, en lui, le cœur l'avait emporté sur l'esprit. Il s'abandonnait au flot d'une grâce.

Je vis Eugène étendu sur son lit, comme endormi, serein, un chapelet entre les mains. Rodica m'apprit qu'Eugène s'était éteint doucement, après une légère quinte de toux, sans que rien ne puisse le laisser prévoir. Nous sommes convenus de retenir un ensemble de textes représentatifs de sa personnalité et de ses préoccupations :

"Pas se fâcher avec Dieu. "(Plus) avoir de "mots" avec lui.

"Je crains Dieu, je L'aime mieux dans Son Fils : Il est un Ami. Il est mon Frère. Ne sommes-nous pas tous les Fils de Dieu ? Les Enfants de Dieu."

"J'espère ; tout se simplifiera ; tout nous paraîtra comme allant de soi ; tout sera Un et compréhensible ; on nous expliquera tout, et l'immensité de la durée : 1 heure, 1 minute, 1 seconde, et la haine et l'être, et le fait d'être. "Il ne peut pas, Il ne voudra pas nous laisser dans l'ignorance. Nous saurons tout miraculeusement et non pas rationnellement, tout sera expliqué, tout sera évident."

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