« Ils regarderont vers Celui qu’ils ont transpercé ». Prolongement méditatif : L’Agneau racheta les brebis.
Si, pour la plupart d’entre nous, la pensée de Pâques est synonyme de lumière et de joie, le sens profond de ce jour est beaucoup plus difficile à saisir que, par exemple, celui de Noël. La naissance, l’enfance, la famille, tout cela fait partie de notre vie. C’est pourquoi, la pensée que Dieu ce soit fait, enfant, et qu’ainsi, ce qui est petit soit devenu grand, et ce qui est grand se soit fait humainement proche et tangible, nous touche très directement. Nous croyons que par la naissance à Bethléem, Dieu a fait son entrée dans le monde, faisant jaillir une lumière dont le rayonnement atteint jusqu’aux hommes qui ne pensent pas pouvoir accueillir le message comme tel. Avec Pâques, il en va autrement.
Avec Pâques, Dieu n’est pas entré dans notre vie familière. Il en a franchi les limites pour atteindre un espace nouveau au- delà de la mort. Il ne nous suit pas, il nous précède, tenant le flambeau en une contrée inexplorée pour nous donner le courage de le suivre. Mais comme seul nous ai connu ce qui est en-deçà de la mort, nous ne pouvons relier aucune de nos expériences à ce témoignage. Nous ne pouvons rien imaginer qui pourrait venir au secours de cette parole à nous adressée ; cela reste une approche de l’inconnu qui nous fait prendre douloureusement conscience de la faiblesse de notre vue et de la petitesse de nos pas.
Toutefois, il est exaltant de penser que, au moins grâce à la parole de quelqu’un qui sait, nous apprenons quelque chose sur ce qui ne peut laisser personne indifférent. La question de l’Après-la-mort nous hante. Il n’est, pour se rendre compte, que de voir la curiosité incroyable avec laquelle ont été accueillis, ces dernières années, les récits de personnes considérées comme cliniquement mortes, qui prétendent avoir eu accès à ce qui est inaccessible à l’expérience et qui semblent être en mesure de nous dire ce qui survient une fois franchie la sombre porte de la mort. Mais tous ces récits laissent un goût de trop peu, car aucun de ses témoins n’est véritablement mort. Tous n’ont fait que traverser une expérience particulière, celle de l’extrême limite de la vie et de la conscience humaines. Nul ne peut dire si leur expérience aurait été confirmée s’ils avaient été vraiment morts. Mais celui dont parle Pâques, Jésus-Christ, est vraiment « descendu au royaume de la mort », répondant ainsi au riche qui lui demandait : Envoie-nous donc quelqu'un du royaume des morts, et alors nous croirons (cf. Lc 16,27s). Lui, le vrai Lazare, est revenu pour que nous croyons. Mais le faisons-nous? Il n’est pas revenu de l’au-delà avec des révélations, ni avec des descriptions sensationnelles. Mais il nous a dit qu’il prépare notre demeure. N’est-ce pas là la nouvelle la plus passionnante de l'histoire, même si elle ne provoque pas le frisson ?
Pâques relève de l’inconcevable. Nous avons accès à sa réalité, évènementielle par la seule parole des témoins, et non par les sens. Il est donc d’autant plus important de se laisser imprégner par la grandeur de cette parole. Mais comme nous pensons précisément en passant par nos sens, la foi de l'Église a, depuis toujours, transcrit le message pascal, en symbole qui permettent d’entrevoir le non-dit de la parole.
Le symbole de la lumière (et, avec elle, celui du feu), joue un rôle particulier ; le cierge de Pâques, qui éclaire l’église plongée dans l’ombre et devient un signe de vie, symbolise la victoire sur la mort. L’évènement de jadis est ainsi traduit dans notre présent : là où la lumière l’emporte sur les ténèbres, il y a quelque chose comme une résurrection.
La bénédiction de l’eau, met en évidence un autre élément de la création comme symbole de résurrection : l’eau, en soi, peut avoir quelque chose de menaçant, peut-être une arme mortelle. Mais l’eau vive de la source, c’est la fécondité qui fait se dresser des oasis de vie en plein désert.
Un troisième symbole et d’un tout autre genre. Le chant de l’alléluia, le chant d’allégresse de la liturgie pascale, montre que la voix humaine peut faire autre chose que crier ou gémir, se lamenter et parler. Il montre que la voix humaine peut aussi chanter. Que l’homme puisse aussi convoquer les voix de la création et les rendre harmonieuses, ne nous fait-il pas merveilleusement pressentir de quelles métamorphoses nous-mêmes et la Création sommes capables ? N’est-ce pas là un magnifique signe d’espérance dans lequel nous entrevoyons ce qui va arriver et pouvons en même temps l’accueillir comme quelque chose de possible dans le présent ? D’ailleurs, la saison dans laquelle s’inscrit la fête de Pâques n’est pas non plus un hasard. Par-delà la Pâque juive, la Pâque chrétienne est profondément enracinée dans l’histoire des religions et dans la sphère de ce que l’on appelle les religions de la nature. Je suis toujours frappé par l’insistance avec laquelle Jésus, au cours de sa vie, parle de son « heure », et cela me donne toujours à réfléchir. Il va vers la mort, mais l’évite tant que cette heure n’est pas venue. (Cf. par exemple Lc XIII, 31-35). Lui-même rattache ainsi consciemment sa mission à toute l’histoire de la foi de l’humanité et aux signes de la Création. Il relie l’accomplissement de sa mission à cette fête et, ainsi, à la première lune du printemps. Cela peut sembler incompréhensible et sans importance à une érudition purement technique et historiciste. Mais Jésus ne pensait pas ainsi. En liant « son heure » aux rotations de la lune et de la terre, aux marées, il inscrit sa mort dans un contexte cosmique et, inversement, rapporte le cosmos à l’être humain. La Création est présente dans les grandes fêtes de l’Église et, à l’inverse, nous faisons, dans ces fêtes, chorus avec le mouvement de la terre et des constellations et intégrons leurs messages. C’est pourquoi le renouvellement de la nature, que marque la première lune du printemps, est également un signe qui fait réellement partie du message de Pâques : la Création parle de nous et s’adresse à nous; nous ne comprenons nous-mêmes, et nous ne comprenons bien le Christ que si nous apprenons aussi à écouter la voix de la Création.
Mais aujourd’hui, je souhaiterais que nous concentrions notre attention sur le symbole qui se trouvait au cœur de la Pâque juive et devint tout naturellement l’image pascale par excellence de l’Église. Je veux parler de l’agneau pascal.
Le rôle joué par l’image de l’agneau dans la Bible est tout à fait significatif. Nous le rencontrons dès les premières pages, dans le récit du sacrifice du berger Abel et, dans le dernier livre des Écritures Saintes, il est le trait d’union entre le ciel et la terre. Selon l’apocalypse de Saint-Jean, l’agneau peut seul lever le sceau de l’histoire. Toutes les créatures, sur la terre comme au ciel, honorent l’agneau qui apparaît égorgé et vit cependant. L ’agneau qui se laisse immoler sans se plaindre, est synonyme de la douceur dont il est dit : Heureux les doux, parce qu’ils hériteront de la terre (Mt V,4). L’agneau mortellement blessé nous dit qu’à l’heure dernière, les vainqueurs ne seront pas ceux qui donnent la mort ; que le monde vit bien davantage de celui qui se sacrifie. Le sacrifice de celui qui devient l’agneau égorgé est ce qui maintient en cohésion le ciel est la terre. C'est dans ce sacrifice qu’est la véritable victoire. C'est lui qui est source de vie, c’est lui qui donne tout son sens à l’histoire, en dépit de ces atrocités, et finit par la transformer en un champ de joie.
Mais pour ma part, plus encore que les textes bibliques dont nous venons de parler, c’est dans le récit du sacrifice d’Isaac que m’apparaît le plus clairement la signification de l’image de l’agneau. Cette histoire d’agneau, la plus énigmatique de la Bible, soulève régulièrement la protestation des lecteurs, mais précisément pour cela, elle incite très fortement à un questionnement plus profond sur Dieu, et c’est elle qui nous mène à mieux comprendre ses mystères. En gravissant la montagne, Isaac constate l’absence de l’animal du sacrifice. Interrogé alors, son père lui répond : Dieu y pourvoira lui-même... (Gn XXII,8). Ce n’est qu’à l’instant où Abraham brandit le couteau au-dessus d’Isaac que l’on voit à quel point il avait dit vrai : un bélier, prisonnier des broussailles, va prendre la place de l’enfant. La pensée juive s’est toujours penché sur cet instant, rempli de mystère où Isaac gît, ligoté, sur l’autel. Plus d’une fois, Israël, a été amené à y reconnaître sa propre situation, à s’identifier à cet Isaac ligoté, contre qui est brandit le couteau mortifère, pour essayer d’y puiser l’espoir de comprendre son propre destin. Au travers de la figure de Isaac, il a pour ainsi dire laissé raisonner la vérité de la parole prononcée par Abraham : Dieu y pourvoira lui-même. Ainsi, la tradition juive, raconte qu’au moment même où Isaac laissa échapper un cri d’angoisse, Dieu, fit ouvrir les yeux, et l’enfant y entrevit les sanctuaires invisibles de la Création et entendit le chœur des anges. Une autre tradition voit en Isaac le fondateur du rituel liturgique d’Israël et explique ainsi pourquoi le Temple n’aurait pas été édifié sur le Sinaï mais sur le mont Moriah. On peut donc conclure que tout culte d’adoration provient pour ainsi dire de cette vision d’Isaac, de ce qu’il a contemplé et de ce qu’il en a transmis. Enfin, les réflexions sur la signification du nom d’Isaac - dont la racine hébraïque signifie « rire » - font aussi partie de ce contexte. La Bible y voit, en premier lieu, une allusion au rire dubitatif et triste d’Abraham et de Sarah qui ne veulent pas croire qu’ils peuvent concevoir un fils à leur âge (cf. Gn XVII, 17; XVIII, 12). Mais lorsque se réalise la promesse, lorsque le spasme de la solitude se détend pour devenir le bonheur de l’accomplissement, le rire incrédule se transforme en rire de joie (Gn XXI, 6). Certaines traditions ultérieures ne réfèrent plus le rire aux seuls parents d’Isaac, mais à Isaac lui- même. Et effectivement, n’avait-il pas toutes les raisons de rire lorsque, après l’émotion intense provoquée par la peur de la mort, il voit soudain apparaître le bélier et, en même temps la solution de l’énigme ? N’avait-il pas toutes les raisons de rire lorsque le drame horrible et triste, qui débute de manière effrayante pas l’ascension et le « ligotement » s’achève soudain, d’une façon inattendue presque comique, et pourtant libératrice ? Il est clairement apparu à cet instant que l’histoire du monde n’est pas une tragédie, le triste et inéluctable spectacle de puissances conflictuelles, mais qu’elle est une « divine commedia ». Il pouvait rire celui dont les yeux avaient vu cet instant ultime.
Pas plus que la tradition juive, qui n’a cessé de sonder l’histoire d’Isaac, les Pères de l’Église n’ont pu se détacher de ce texte. Eux aussi se sont posé la question : qu’a donc appris Isaac, à cet instant ultime, lorsqu’il gisait, ligoté, sur le billot ? Qu’a-t-il donc vu ? Leur réponse est plus simple et plus réaliste que celle des savants juifs. Ils disent tout simplement : il a vu le bélier qui est alors devenu le pivot même du culte juif. Pour les Pères aussi, le culte juif veut fondamentalement faire perdurer et maintenir vivant cet instant ; il cherche la délivrance moyennant une relève. Et eux aussi savent qu’en voyant le bélier, Isaac avait toutes les raisons de se réjouir, et que cette vision lui rendit le rire qui l’avait quitté.
Mais ils vont plus loin encore : Isaac a vu le bélier, cela signifie qu’il a vu le signe de ce qui allait venir, de celui qui allait venir et devenir l’agneau. En voyant l’agneau, il voit celui qui s’est laissé prendre dans les broussailles de l’histoire, qui s’est laissé ligoter et qui a pris notre relève, ce qui équivalait à notre rédemption. En ce sens, selon les Pères de l’Église, Isaac a vraiment vu le ciel ouvert. Car il y a vu Dieu qui pourvoit, qui se tient aussi précisément au seuil de la mort. Le regard sur le bélier était le regard sur le Dieu qui non seulement pourvoit, mais qui est le « pourvoiement » en personne et devient l’agneau pour que l’homme devienne homme et qu’il vive. En voyant le bélier, Isaac a vu, en fin de compte, exactement ce que Jean avait vu à Patmos dans le ciel entrouvert et qu’il décrivait ainsi : « Et je vis, au milieu du trône et des quatre Vivants, et au milieu des Vieillards, un Agneau debout, comme égorgé ... Et toutes les créatures qui sont au ciel et sur terre, et sous la terre, et sur la mer, et tous les êtres qui y sont, je les entendis qui disaient : ‘A Celui qui est assis sur le trône, et à l’Agneau, la louange, l’honneur, la gloire et la domination pour les éternités d’éternités’ ! ». (Ap V, 6-1). En voyant l’agneau, Isaac a vu ce qu’est le culte : Dieu lui-même se prépare son culte, par lequel il prend la relève de l’homme, le rachète et lui rend le rire de joie qui devient un hymne de louange à la Création.
Maintenant, vous pourriez me rétorquer : qu’avons-nous à faire des Pères de l’Église et des histoires juives ? Il me semble cependant qu’il n’est pas difficile de voir que cet Isaac dont nous parlons ici, n’est autre que nous-mêmes. Nous grimpons la montagne du temps et transportons en nous-mêmes les instruments de notre mort. Au début de notre ascension, le but est loin encore, et nous n’y pensons pas, car le présent nous suffit : le matin sur la montagne, le chant de l’oiseau, la luminosité du soleil. Nous pensons n’avoir besoin d’aucune information sur le but, car le chemin se suffit à lui-même. Mais plus il s’étire en longueur, moins on peut éluder la question : où conduit-il en fait ? A quoi tout cela nous mène-t-il en fait ? Déconcertés, nous regardons les signes de la mort, que nous n’avions pas perçus auparavant et le soupçon nous gagne : la vie entière n’est qu’une variante de la mort ; nous sommes des dupes ; la vie, en fait, n’est pas un cadeau, mais une épreuve. Et alors, cette réponse énigmatique — Dieu pourvoira lui-même — sonne plus comme une excuse que comme une explication. Là où s’impose cette opinion, là où la réponse « Dieu » n’est plus convaincante, l’humour meurt. L’homme n’a plus de quoi rire ; seul demeure un sarcasme cruel, ou cette rage envers Dieu et le monde, que nous connaissons tous. Mais celui qui a vu l’agneau — le Christ en croix — celui-là sait que Dieu a pourvu. Le ciel ne va pas se déchirer, nul n’a entrevu « les sanctuaires invisibles de la Création », nul n’a entendu « le chœur des anges ». Tout ce que nous pouvons voir, c’est — comme pour Isaac — l’agneau dont l’apôtre Pierre dit qu’il était désigné dès avant la fondation du monde (1 Pr I, 20). Mais cependant le regard sur l’agneau - sur le Christ crucifié- est précisément notre regard sur le ciel, notre regard sur Dieu qui pourvoit de toute éternité. Toutefois, dans cet agneau, nous voyons s’entrebâiller le ciel ; nous voyons la douceur de Dieu, qui n’est ni indifférence ni faiblesse, mais toute-puissance. Nous voyons de cette manière, et de cette manière seulement, les sanctuaires invisibles de la Création et y percevons le chant des anges ; oui, nous pouvons essayer de mêler un peu nos voix aux leurs dans l’Alléluia du jour de Pâques. Parce que nous voyons l’agneau, nous pouvons rire et rendre grâce ; c’est lui qui nous a fait comprendre, à nous aussi, ce que signifie adorer.
Revenons-en, une fois encore, aux Pères de l’Église. Nous l’avons constaté, en l’agneau ils ont vu l’annonce prophétique de la venue de Jésus et en ont conclu que Jésus était en même temps l’agneau et Isaac. Il est l’agneau qui s’est laissé capturer, ligoter et immoler, et en même temps, il est Isaac qui a vu s’entrouvrir le ciel. Oui, à la différence d’Isaac, ce n’est plus seulement sous une forme cryptée qu’il a vu le ciel, mais il y est entré. Dès lors, la frontière s’est ouverte entre Dieu et l’homme. Jésus est Isaac qui, ressuscite, redescend de la montagne de la mort, le visage illuminé par le rire de joie. Toutes les paroles du ressuscité sont empreintes de cette joie - le rire de la délivrance. Si vous voyez un jour ce que j’ai vu et ce que je vois, si, un jour, vous embrassez le tout du regard, alors, vous rirez (cf. Jn XVI, 20). Autrefois, le rictus paschalis, le rire pascal faisait partie de la liturgie baroque. Le sermon pascal devait comporter une histoire censée déclencher le rire, de sorte que l’église résonnait d’un rire de joie. C’est peut-être une forme un peu légère et superficielle de joie chrétienne. Mais n’est-il pas très beau que le rire soit devenu symbole liturgique ? Le rire n’est-il pas ici de mise ? N’est-il pas très agréable lorsque, dans les églises baroques, les angelots et les fioritures nous font encore entendre le rire annonciateur de la liberté de ceux qui ont été rachetés par le Christ ? Et ne peut- on pas voir, chez le musicien Joseph Haydn, le signe d’une foi pascale, lorsque celui-ci déclare, à propos de sa composition religieuse, qu’en pensant à Dieu, il avait ressenti une certaine joie, de sorte, poursuivit-il, que « je n’ai pu la réprimer lorsque j’ai voulu traduire en musique les mots de la prière. Elle m’a au contraire rendu si heureux qu’au-dessus du Miserere, entre autres, j’ai inscrit la mention ‘allegro’ » ?
La vision céleste de la révélation et de l’Apocalypse de Saint Jean exprime ce que notre foi nous permet de voir à Pâques : l’Agneau immolé est vivant. Et parce qu’il vit, nos lamentations prennent fin et se transforment en rires (cf. Ap V, 4s). Le regard sur l’agneau est le regard que nous élevons vers le ciel entrouvert. Dieu nous voit et Dieu agit, même si ce n’est pas comme nous le pensons, même si ce n’est pas comme nous aimerions le lui prescrire. C’est depuis Pâques seulement que la première phrase du credo prend tout son sens, depuis Pâques seulement elle est accomplie et réconfortante : je crois en Dieu le Père tout-puissant. Car c’est par l’Agneau seulement que nous savons que Dieu est vraiment Père et qu’il est vraiment tout-puissant. Celui qui a compris cela ne connaitra plus jamais la tristesse totale, ne sera jamais désespéré. Celui qui a compris cela résistera à toutes tentation de prendre place à côté des bouchers. Celui qui a compris cela n’éprouvera pas la peur ultime s’il se trouve lui-même dans la situation de l’agneau. Car il sera alors dans le lieu le plus sûr.
C’est à cela que nous invite Pâques ; à écouter Jésus, mais tout en l’écoutant, à apprendre à voir de l’intérieur. Cette fête, la plus grande de l’année liturgique, nous encourage à découvrir l’entrebâillement du ciel, dans le regard que nous portons sur lui, celui qui a été immolé et qui est ressuscité. Si nous saisissons pleinement le message de la résurrection, alors nous comprenons que le ciel n’est pas complètement fermé au-dessus de nos têtes. Alors timidement encore et pourtant énergiquement, un rayon de lumière de Dieu pénètre en notre vie. Alors la joie se lève en nous, cette joie sans laquelle nous attendons en vain ; et chacun de ceux en qui pénètre un peu de cette joie peut, à sa manière, être un entrebâillement à travers lequel le ciel regarde la terre et vient à elle. C’est alors que ce que prévoit l’Apocalypse de saint Jean peut se réaliser : toute créature, dans le ciel, et sur la terre, et sous la terre, et dans la mer, l’univers entier se trouve empli de la joie de celui qui a été délivré (Ap V, 13). Dans la mesure où nous comprenons cela, la parole de Jésus s’accomplit, la parole de celui qui nous quitte et qui, en nous quittant, revient à nouveau : votre tristesse se changera en joie (Jn XVI, 20) et comme Sara, les hommes emplis de la foi pascale peuvent dire : « Dieu m’a donné de quoi rire. Tous ceux qui l’apprendront me souriront » (Gn XXI, 6).